Comme la société l'hôpital se mondialise. S'y côtoient désormais des patients aux identités et aux langues multiples avec, chacun, un rapport singulier à la maladie et à la mort.
Que faire lorsque, toutes les ressources médicales étant épuisées, l'équipe soignante n'arrive ni à comprendre ni à soulager des patients issus d'autres cultures ?
À travers sept récits, les auteurs montrent comment surmonter les malentendus et les incompréhensions préjudiciables aux soins qui se tissent parfois entre soignants et patients. Au sein d'un dispositif de médiation pionnier dans l'hôpital la consultation interculturelle, ils explorent la face cachée de la maladie, celle qui se raconte dans l'intimité des familles. Conjuguant les connaissances scientifiques des uns et les savoirs profanes des autres, ils permettent de mobiliser des ressources nouvelles pour affronter la maladie.
Sorcellerie, malédiction, forces invisibles s'invitent dans le cabinet médical... c'est alors que les esprits
viennent aux médecins...
Extrait de l'introduction
«Je me rends compte que si vingt-quatre médecins parmi les plus illustres ont échoué, cela signifie simplement que nous avons atteint les limites de la science médicale.»
Irvin D. Yaiom, Et Nietzsche a pleuré, Paris, Livre de poche, p. 22.
«Frag michtdem roïfé, nor demh'oïlé.»
«Ne demande pas au médecin mais au malade.»
Proverbe yiddish
Notre métier consiste à négocier des rencontres. Au fil des années, nous sommes devenus des passeurs entre nos confrères médecins et leurs patients, des médiateurs entre les connaissances techniques des uns et les savoirs cachés des autres.
Un monde en transformation
Un enfant est mort ce matin dans un grand service pédiatrique parisien. Cet enfant venait d'un ailleurs nommé Tizi Ouzou, en Algérie. Il était arrivé à Paris seul, avant d'être confié, le temps de son hospitalisation, à la garde d'une famille d'accueil française. Il aimait partager des histoires avec l'aide-soignante kabyle qui parlait sa langue. Une greffe devait tenter de le sauver d'une grave maladie qui avait déjà emporté ses deux frères. Ce matin-là, lorsque le médecin entra de nouveau dans la chambre, il trouva l'aide-soignante penchée au-dessus du corps de l'enfant. Elle le lavait en murmurant des paroles dans sa langue maternelle. Plus tard, le médecin apprendra que cette femme avait prodigué, comme elle l'aurait fait pour l'un des siens, les rituels sacrés dévolus à un mort.
Quiconque se rend aujourd'hui dans les salles d'attente des hôpitaux de nos grandes métropoles constate à quel point les patients viennent d'horizons culturels divers. Comme la société, l'hôpital se mondialise. Il se métisse. En son sein se côtoient désormais des patients aux identités multiples, représentant des nationalités, des langues différentes et, pour chacun, une manière singulière de penser la maladie, la souffrance et la mort. Mais derrière les corps souffrants, cette nouvelle mixité culturelle change-t-elle quelque chose à la prise en charge médicale ?
Pour la plupart de ces patients, la rencontre avec notre système de soins ne semble pas poser de problème particulier. Pourtant, lorsque l'on interroge les médecins sur les évolutions en cours rares sont ceux qui ne reconnaissent pas aujourd'hui être confrontés de plus en plus fréquemment à des situations de malentendus ou d'incompréhensions réciproques. Quelle raison rendrait la relation de soin plus difficile avec les patients migrants ? L'obstacle linguistique est régulièrement évoqué (Pergert et al., 2007). Mais au fond, chacun admet que cette explication n'est pas suffisante. Faut-il alors incriminer la différence culturelle entre soignants et patients migrants ? Nous avançons là sur un terrain semé d'embûches. Car dans un pays où la Révolution a aboli les différences et inscrit la laïcité comme fondement du nouvel État, reconnaître et accepter la pluralité des mondes sont des exercices périlleux. L'expression d'identités et de modes de pensée pluriels est encore trop souvent interprétée comme preuve d'une résistance à l'intégration et un affront à la société d'accueil. Sans autre alternative, il est alors bien plus confortable pour l'esprit de lisser le monde derrière une universalité de façade, ô combien éloignée de la réalité quotidienne des familles.
Serge Bouznah est médecin de santé publique, spécialiste en clinique transculturelle. Il est Directeur du Centre Babel, Centre Ressource Européen en Clinique Transculturelle,
Hôpital Cochin, Maison de Solenn (Paris).
Catherine Lewertowski est médecin, spécialiste en clinique transculturelle. Elle est actuellement Responsable de circonscription PMI, au sein du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis.
Droits de traduction disponibles : Worldwide excepté France et pays francophones
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